Discours
de
Laurent Kott
Directeur général adjoint INRIA
Sophia-Antipolis
Lundi 1er Avril 1996
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Sénateur,
Chers Collègues,
L'INRIA est l'organisme de recherche français dédié
aux technologies de l'information et, depuis sa création il y a près
de trente ans, ses deux principales missions sont : l'excellence scientifique
et le transfert des résultats de la recherche.
A la fin des années 80, il était devenu clair que l'industrie
informatique, et les autres industries du secteur de la communication, allait
connaître des bouleversements sans précédent tant sur
le plan technique que sur le plan économique. Cette (r)évolution
est devenue évidente lors de la campagne présidentielle de
1992 aux Etats-Unis d'Amérique avec les discours d'Al Gore sur les
« information highways », puis lors de diverses réunions
consacrées à la « Société de l'information
» par le Conseil européen ou le G7, entre autres. Aujourd'hui,
les mass médias se sont emparés de ces sujets et il est devenu
difficile d'échapper aux articles et aux émissions sur Internet,
le Web et, comme souvent, le pire côtoie le meilleur.
Pour la recherche, et ceux qui la font, cette situation est, à la
fois, passionnante et dérangeante car, si elle ouvre des perspectives
de travail quasi illimitées, elle entraîne de profondes remises
en cause de nos modes de fonctionnement. Nous devons donc tenir compte de
ce nouvel environnement pour mieux nous organiser afin d'être à
l'écoute d'une demande de plus en plus forte de tous les secteurs
de la société, qu'ils soient producteurs de biens et de services,
marchands ou non marchands.
Ainsi les chercheurs voient-ils leur rôle d'expert se renforcer auprès
des entreprises, des organisations gouvernementales, des instances communautaires
et internationales.
C'est évidemment une chance, mais aussi une responsabilité.
En effet, comment choisir entre toutes les applications des technologies
de l'information ? celles qui sont vitales pour la compétitivité
économique de nos entreprises, celles qui répondent à
une forte demande sociale : santé, formation, culture, aménagement
du territoire, télétravail, ...
Il y a donc devant nous des enjeux économiques, sociaux, politiques
auxquels nous pouvons et devons contribuer de façon significative.
Une demande forte et des défis à relever, qu'espérer
de mieux pour des instituts de recherche et leurs personnels ?
Mais quelles méthodes faut-il appliquer pour que nous continuions
à faire de la recherche au meilleur niveau tout en répondant
à ces attentes ? Il me semble que la réponse est parfaitement
illustré par l'objet qui nous réunit aujourd'hui : Internet
! Ce réseau des réseaux n'est il pas le moyen de concilier
la nécessaire autonomie de chacun - chercheur, équipe de recherche,
laboratoire, institut, ...- et le travail collectif ? Il faut donc encourager
simultanément décentralisation et partenariat.
Ce sont des méthodes que l'INRIA emploie depuis longtemps et qui
lui ont assez bien réussi.
Je voudrais aujourd'hui insister sur la place du partenariat et en donner
quelques exemples.
Il y a d'abord les partenariats avec nos collègues d'autres disciplines
: certains sont « anciens » : avec les mathématiques et
les modèles physiques pour le calcul scientifique, avec la biologie
et la médecine pour l'imagerie médicale, d'autres sont plus
récents comme celui avec la génétique pour la cartographie
du génome ; enfin d'autres sont en gestation comme, par exemple,
le programme Medsis d'étude des mouvements tectoniques de la zone
méditerranéenne.
A l'occasion du programme lancé par le gouvernement français,
intitulé « Autoroutes de l'Information », l'INRIA a construit
des relations avec des nouveaux acteurs de ce secteur, comme les cablo-opérateurs,
les éditeurs, pour des applications très diversifiées
: l'accès à Internet via le câble, diagnostic médical
à distance, utilisation du multimédia pour la formation permanente,
commerce électronique, etc., les possibilités d'expérimentation
sont immenses.
Il y a aussi les partenariats avec des organismes d'autre pays et, bien
entendu, ERCIM a une place particulière, spécialement pour
les projets où la rencontre des différentes cultures, le multilinguisme
par exemple, est un point crucial ; la coopération européenne
est alors indispensable. D'ailleurs, l'extension de ce type projet aux pays
méditerranéens serait certainement souhaitable, pour tenir
compte des particularités des langues sémitiques.
Mais le partenariat exemplaire est celui que nous avons pu bâtir
avec le MIT pour constituer le Consortium World Wide Web. Fermement soutenu
par la commission européenne et avec le concours des autres membres
d'ERCIM, l'INRIA représente l'Europe dans ce consortium dont le but
est de faire évoluer les spécifications du Web en garantissant
leur diffusion mondiale, empêchant ainsi la constitution d'un monopole
de fait sur les outils de base de l'accès et de la diffusion de l'information.
Dans ce consortium, la voix de tous les utilisateurs doit se faire entendre
et je vous incite fortement à y participer.
Bien que cette réunion soit euro-méditerranéene, je
voudrais aussi mentionner la participation de l'INRIA aux efforts de l'ORSTOM
pour doter les pays d'Afrique d'une infrastructure.
Comme vous le voyez, la liste de tous ces partenariats est longue et ce
sont tous ces fils tissés entre eux qui forment la « Toile »,
le Web !, de nos relations permettant ainsi à l'INRIA d'accomplir
ses missions.
Après avoir évoqué la politique de l'INRIA en matière
de recherche pour les technologies de l'information, je voudrais terminer
en abordant un problème, peut-être le plus difficile, soulevé
par ce mouvement vers la « Société de l'Information ».
En tant que chercheurs et universitaires, nous consommons de l'information,
nous la retravaillons, nous la structurons afin de produire de nouvelles
connaissances et de les transmettre. Notre activité professionnelle
nous montre quotidiennement ce que signifie la fiabilité, la crédibilité
d'une information, que lire n'est pas comprendre et que le traitement de
l'information n'est pas encore une tache que l'on peut confier à
des logiciels même affublées de noms aussi « poétiques
» que robots, araignées et autres butineurs ! ! ! !
Ne pas aborder ces problèmes, c'est prendre le risque de nouvelle
fractures dans nos sociétés, entre pays développés
et ceux qui le sont moins ou pas du tout, dans chacun de nos pays entre
ceux de nos concitoyens interdits d'accès à l'information
et ceux qui savent.
Tant l'histoire que la géographie nous indiquent que nos pays, en
travaillant ensemble, apporteront des réponses, au moins les premiers
éléments, à ces problèmes. J'espère que
ce séminaire sera un premier pas dans cette direction.
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